TARDIVO Antoine Antoine TARDIVO 2 2 2017-07-09T19:23:00Z 2017-07-09T19:23:00Z 1 714 3931 DG Tresor 32 9 4636 14.00

Digressions et circonvolutions proustiennes

ou l’art de la lecture en apnée

Outre la lecture linéaire de la Recherche, le lecteur peut aussi avec ravissement se lancer, de digression en circonvolution, dans le butinage de l’œuvre. 

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524

Du côté de chez Swann

Grâce à la vertu de ces paroles intérieures, elle rejetait fièrement en arrière ses épaules détachées de son buste et sur lesquelles sa tête posée presque horizontalement faisait penser à la tête « rapportée » d’un orgueilleux faisan qu’on sert sur une table avec toutes ses plumes.

524

Du côté de chez Swann

Ce n’est pas qu’elle ne fût par nature courtaude, hommasse et boulotte ; mais les camouflets l’avaient redressés comme ces arbres qui, nés dans une mauvaise position au bord d’un précipice, sont forcés de croître en arrière pour garder leur équilibre.

1013

A l’ombre des jeunes filles en fleurs

Françoise, dans le drap cerise mais passé de son manteau et les poils sans rudesse de son collet en fourrure, faisait penser à quelqu’une de ces images d’Anne de Bretagne peintes dans des livres d’Heures par un vieux maître, et dans lesquelles tout est si bien en place, le sentiment de l’ensemble s’est si également répandu dans toutes les parties que la riche et désuète singularité du costume exprime la même gravité pieuse que les yeux, les lèvres et les mains.

1150

A l’ombre des jeunes filles en fleurs

Quant aux hommes, malgré l’éclat des smokings et des souliers vernis, l’exagération de leur type faisant penser à ces recherches dites « intelligentes » des peintres qui, ayant à illustrer les Evangiles ou les Mille et Une Nuits, pensent au pays où la scène se passe et donnent à Saint Pierre ou à Ali-Baba précisément la figure qu’avait le plus gros « ponte » de Balbec.

1258

A l’ombre des jeunes filles en fleurs

Je remarquai un de ces servants, très grand, emplumé de superbes cheveux noirs, la figure fardée d’un teint qui rappelait davantage certaines espèces d’oiseaux rares que l’espèce humaine et qui, courant sans trêve et, eût-on dit, sans but, d’un bout à l’autre de la salle, faisait penser à quelqu’un de ces « aras » qui remplissent les grandes voilières des jardins zoologiques de leur ardent coloris et de leur incompréhensible agitation.

1271

A l’ombre des jeunes filles en fleurs

Sa tête faisait penser à ces tours d’antiques donjons dont les créneaux inutilisés restent visibles, mais qu’on a aménagées intérieurement en bibliothèque.

1550

Le côté de Guermantes

Sur la chevelure de la princesse, et s'abaissant jusqu'à ses sourcils, puis reprise plus bas à la hauteur de sa gorge, s'étendait une résille faite de ces coquillages blancs qu'on pêche dans certaines mers australes et qui étaient mêlés à des perles, mosaïque marine à peine sortie des vagues qui par moment se trouvait plongée dans l'ombre au fond de laquelle, même alors, une présence humaine était révélée par la motilité éclatante des yeux de la princesse.

1561

Le côté de Guermantes

La voix de la Berma, en laquelle ne subsistait plus un seul déchet de matière inerte et réfractaire à l'esprit, ne laissait pas discerner autour d'elle cet excédent de larmes qu'on voyait couler, parce qu'elles n'avaient pu s'y imbiber sur la voix de marbre d'Aricie ou d'Ismène, mais avait été délicatement assouplie en ses moindres cellules comme l'instrument d'un grand violoniste chez qui on veut, quand on dit qu'il a un beau son, louer non pas une particularité physique mais une supériorité d'âme; et comme dans le paysage antique où à la place d'une nymphe disparue, il y a une source inanimée, une intention discernable et concrète s'y était changée en quelque qualité du timbre, d'une limpidité étrange appropriée et froide.

1566

Le côté de Guermantes

Mais la Berma faisait pourtant entrer les mots, même les vers, même les "tirades" dans des ensembles plus vastes qu'eux-mêmes à la frontière desquels c'était un charme de les voir obligés de s'arrêter, s'interrompre; ainsi un poète prend plaisir à faire hésiter un instant, à la rime, le mot qui va s'élancer, et un musicien à confondre les mots divers du livret dans un même rythme qui les contrarie et les entraîne. Ainsi dans les phrases du dramaturge moderne comme dans les vers de Racine, la Berma savait introduire ces vastes images de douleur, de noblesse, de passion, qui étaient ses chefs-d'œuvre à elle, et où on la reconnaissait comme, dans des portraits qu'il a peints d'après des modèles différents, on reconnaît un peintre.

2003

Le côté de Guermantes

Et le duc se présentait naïvement pour l’aider, sans en avoir l’air, à réussir son tour, comme, dans un wagon, le compère inavoué d’un joueur de bonneteau